30 mars 2012

Atelier numérique du 2 Mars ( Le caviardage - fin)

Contrainte : Le caviardage 

Sur le modèle de Lucien Suel ou de Jochen Gerner (voir pièces jointes) noircissez les mots inutiles d'une page de manière faire apparaitre un court poème, une fulgurance, un apophtegme. Vous pouvez utiliser les texte de Jules Verne, Stig Dagerman ou l'article du Monde sur "Bovines" et la fonction surlignage (en noir) de votre traitement de texte.




 Jules Verne :

Aussi, quand le docteur conçut ce projet de traverser l’Afrique par les airs, ce fut pour Joe chose faite ; il n’existait plus d’obstacles ; dès l’instant que le docteur Fergusson avait résolu de partir, il était arrivé – avec son fidèle serviteur, car ce brave garçon, sans en avoir jamais parlé, savait bien qu’il serait du voyage.
Il devait d’ailleurs y rendre les plus grands services par son intelligence et sa merveilleuse agilité. S’il eut fallu nommer un professeur de gymnastique pour les singes du Zoological Garden, qui sont bien dégourdis cependant, Joe aurait certainement obtenu cette place. Sauter, grimper, voler, exécuter mille tours impossibles, il s’en faisait un jeu.
Si Fergusson était la tête et Kennedy le bras, Joe devait être la main. Il avait déjà accompagné son maître pendant plusieurs voyages, et possédait quelque teinture de science appropriée à sa façon ; mais il se distinguait surtout par une philosophie douce, un optimisme charmant ; il trouvait tout facile, logique, naturel, et par conséquent il ignorait le besoin de se plaindre ou de maugréer.
Entre autres qualités, il possédait une puissance et une étendue de vision étonnantes ; il partageait avec Mœstlin, le professeur de Képler, la rare faculté de distinguer sans lunettes les satellites de Jupiter et de compter dans le groupe des Pléiades quatorze étoiles, dont les dernières sont de neuvième grandeur. Il ne s’en montrait pas plus fier pour cela ; au contraire : il vous saluait de très loin, et, à l’occasion, il savait joliment se servir de ses yeux.
Avec cette confiance que Joe témoignait au docteur, il ne faut donc pas s’étonner des incessantes discussions qui s’élevaient entre Kennedy et le digne serviteur, toute déférence gardée d’ailleurs.
L’un doutait, l’autre croyait ; l’un était la prudence clairvoyante, l’autre la confiance aveugle ; le docteur se trouvait entre le doute et la croyance ! je dois dire qu’il ne se préoccupait ni de l’une ni de l’autre.
« Eh bien ! monsieur Kennedy ? disait Joe.
– Eh bien ! mon garçon ?
– Voilà le moment qui approche. Il paraît que nous nous embarquons pour la lune.
– Tu veux dire la terre de la Lune, ce qui n’est pas tout à fait aussi loin ; mais sois tranquille, c’est aussi dangereux.
– Dangereux ! avec un homme comme le docteur Fergusson !
– Je ne voudrais pas t’enlever tes illusions, mon cher Joe ; mais ce qu’il entreprend là est tout bonnement le fait d’un insensé : il ne partira pas.
– Il ne partira pas ! Vous n’avez donc pas vu son ballon à l’atelier de MM. Mittchell, dans le Borough.
– Je me garderais bien de l’aller voir.
– Vous perdez là un beau spectacle, monsieur ! Quelle belle chose ! quelle jolie coupe ! quelle charmante nacelle ! Comme nous serons à notre aise là-dedans !
– Tu comptes donc sérieusement accompagner ton maître ?
– Moi, répliqua Joe avec conviction, mais je l’accompagnerai où il voudra ! Il ne manquerait plus que cela ! le laisser aller seul, quand nous avons couru le monde ensemble ! Et qui le soutiendrait donc quand il serait fatigué ? qui lui tendrait une main vigoureuse pour sauter un précipice ? qui le soignerait s’il tombait malade ? Non, monsieur Dick, Joe sera toujours à son poste auprès du docteur, que dis-je, autour du docteur Fergusson.
– Brave garçon !


Stig Dagerman – Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (1952)

Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier.
En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l’apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n’atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d’un souffle de vent dans la cime d’un arbre, je me dépêche de m’emparer de ma victime.
Qu’ai-je alors entre mes bras ?
Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis poète : un arc de mots que je ressens de la joie et de l’effroi à bander. Puisque je suis prisonnier : un aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé par la mort : un animal vivant et bien chaud, un cœur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer : un récif de granit bien dur.
Mais il y a aussi des consolations qui viennent à moi sans y être conviées et qui remplissent ma chambre de chuchotements odieux : Je suis ton plaisir – aime-les tous ! Je suis ton talent – fais-en aussi mauvais usage que de toi-même ! Je suis ton désir de jouissance – seuls vivent les gourmets ! Je suis ta solitude – méprise les hommes ! Je suis ton aspiration à la mort – alors tranche !
Le fil du rasoir est bien étroit. Je vois ma vie menacée par deux périls : par les bouches avides de la gourmandise, de l’autre par l’amertume de l’avarice qui se nourrit d’elle-même. Mais je tiens à refuser de choisir entre l’orgie et l’ascèse, même si je dois pour cela subir le supplice du gril de mes désirs. Pour moi, il ne suffit pas de savoir que, puisque nous ne sommes pas libres de nos actes, tout est excusable. Ce que je cherche, ce n’est pas une excuse à ma vie mais exactement le contraire d’une excuse : le pardon. L’idée me vient finalement que toute consolation ne prenant pas en compte ma liberté est trompeuse, qu’elle n’est que l’image réfléchie de mon désespoir. En effet, lorsque mon désespoir me dit : Perds confiance, car chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits, la fausse consolation me crie : Espère, car chaque nuit n’est qu’une trêve entre deux jours.
Mais l’humanité n’a que faire d’une consolation en forme de mot d’esprit : elle a besoin d’une consolation qui illumine. Et celui qui souhaite devenir mauvais, c’est-à-dire devenir un homme qui agisse comme si toutes les actions étaient défendables, doit au moins avoir la bonté de le remarquer lorsqu’il y parvient.
Personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité. Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par l’obscurité et les jours par les nuits, c’est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existent pas. Je peux, par exemple, marcher sur le rivage et ressentir tout à coup le défi effroyable que l’éternité lance à mon existence dans le mouvement perpétuel de la mer et dans la fuite perpétuelle du vent. Que devient alors le temps, si ce n’est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure – et quelle misérable consolation, qui n’enrichit que les Suisses !
Je peux rester assis devant un feu dans la pièce la moins exposée de toutes au danger et sentir soudain la mort me cerner. Elle se trouve dans le feu, dans tous les objets pointus qui m’entourent, dans le poids du toit et dans la masse des murs, elle se trouve dans l’eau, dans la neige, dans la chaleur et dans mon sang. Que devient alors le sentiment humain de sécurité si ce n’est une consolation pour le fait que la mort est ce qu’il y a de plus proche de la vie – et quelle misérable consolation, qui ne fait que nous rappeler ce qu’elle veut nous faire oublier !


Article du Monde  :

"Bovines", la limousine du documentaire
De la fenêtre de sa ferme, dans le Limousin, Maryse Celerier aperçoit la neige, le pré et ses vaches couvertes de givre. Dès qu'il y a un rayon de soleil, les limousines rechargent leurs batteries, avec les chats de la maison. Les veaux de lait sont dans l'étable, à côté. L'éleveuse possède un troupeau de quatre-vingts bêtes, dont quarante-cinq vaches reproductrices. Elle est aussi cinéphile et fréquente régulièrement le cinéma art et essai d'Eymoutiers. Bovines, sorti en salles mercredi 22 février, y sera-t-il à l'affiche ? A notre demande, Maryse Celerier a visionné le documentaire sur la vie des vaches charolaises, tourné dans le Calvados. A présent, elle rêve de rencontrer son réalisateur, Emmanuel Gras. Pour lui dire combien elle a aimé "son esthétisme", et lui faire part, aussi, de ses "réserves" en tant qu'éleveuse. "Il fallait avoir le culot de faire un film sans aucune autre bande-son que les vaches et les veaux. Il y a de très belles scènes, comme lorsque l'animal secoue le pommier. Mais le film manque de cohérence pour le non-initié. Rien n'a lieu par hasard dans un troupeau. Par exemple, je regrette que l'on ne voie pas le moment où le veau, qui vient de naître, cherche instinctivement la tétine de sa mère. Mais je me fais mon film...", rit-elle au téléphone.Ne pas tout expliquer, laisser des questions en suspens, c'est justement le choix du cinéaste. Bovines fait ressentir la vie dans le pré, avec son rythme lent, ses plans quasi abstraits, ses bruits d'herbe coupée enregistrés au plus près des mâchoires. Contemplatif, et quasi muet : les vaches et leurs veaux sont les acteurs principaux de ce film dévoilé au Festival de Cannes, en mai 2011, par l'Acid, l'Association du cinéma indépendant pour sa diffusion.
Tension dramatique
Bovines joue sur la tension dramatique, dès la première scène. Une vache s'approche de la caméra. Une charolaise, toute blanche, joliment ronde, mais inquiète. Elle meugle, n'arrête pas de pousser des cris. On se demande pourquoi. On comprendra plus tard. Pour l'instant, on découvre la bête dans toute son animalité, loin de l'image furtive "vue du train" du troupeau affalé dans le pré.
Pourquoi filmer des vaches ? L'idée est venue à Emmanuel Gras, tandis qu'il arpentait le chemin de randonnée de Robert Louis Stevenson, le GR 70, dans les Cévennes. "Les vaches venaient à nous, elles avaient une curiosité. Je me suis demandé quelle pouvait être leur existence, en tant qu'animal. En général, on ne se préoccupe du bétail que pour sa fonction nourricière", explique-t-il. "Je ne voulais pas une narration par l'image. Il y a trop de films où l'on explique tout. La trame, c'est l'histoire de mères à qui l'on prend chaque année leurs enfants. Quelques mois après leur naissance, les veaux sont séparés de leurs mères", résume le cinéaste qui n'est ni un spécialiste ni un militant.
Les vaches produisent des veaux qui deviendront de la viande, point. L'embarquement dans le camion, direction l'abattoir, est suggéré en une séquence. Ce n'est pas le sujet de Bovines. Notre éleveuse de limousines n'en fait pas une affaire non plus. "J'emmène mes veaux à l'abattoir. Parfois, les gens nous demandent : "Vous ne les aimez donc pas ?" On en a parlé avec des amis éleveurs, le soir du réveillon. On est arrivés à cette conclusion : il y a un renouvellement perpétuel du troupeau, de nouveaux animaux arrivent, d'autres repartent", explique Maryse Celerier. Ainsi, la dernière séquence du film... Non, on ne la dévoilera pas. Bovines se boit cul sec, comme du petit-lait.


Textes des élèves : 


Sur un texte de Jules Verne 

Le docteur se distinguait par un optimisme charmant ; il trouvait tout facile, logique, naturel. Entre autres qualités, il possédait la rare faculté de distinguer les satellites de Jupiter et il savait joliment se servir de ses yeux. Il était la prudence clairvoyante, la confiance aveugle. Un brave garçon !


Sur un texte de Stig Dagerman :

Je suis un homme heureux entouré de ténèbres. En ce qui me concerne, j’ai ma victime entre mes bras. Une femme aimée, un cœur qui bat de façon sarcastique. Il y a des plaisirs mauvais que je désire : périls, gourmandise, avarice. Pour moi, il suffit de liberté, de rêve. Mais l’humanité a besoin de bonté et l’obscurité de mon existence n’enrichit que moi. La mort qui m’entoure est une misérable consolation à rassasier.
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Je suis dépourvu de foie, un homme absurde vers une mort certaine. Je n’ai pas non plus la candeur ardente ni le besoin de consolation que connaît l’être humain. Je n’atteins que le vide.
Qu’ai-je alors entre mes bras ?
Une femme de joie, un cœur qui bat.
Ton plaisir ! Ton talent ! Ton désir de jouissance ! Ta solitude ! Ton aspiration à la mort ! Tout est excusable mais ma liberté est trompeuse, chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits.
L’humanité a besoin d’une consolation. Marcher sur du vent devient alors dur. Je peux sentir la mort dans mon sang, le sentiment le plus proche de la vie.
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Je n’ai reçu, en ce qui me concerne, que l’effroi. Chuchotements de la mort, ma vie me crie : personne ne peut ressentir de consolation. Le feu de la mort est proche.
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Dépourvu de foi, un homme ne peut être heureux. On m’a légué des choses qui cultivent l’être humain.
La consolation dure le temps d’un souffle.
Je suis une femme aimée puisque je ressens un cœur qui bat.
Consolation de ta mort.
Je vois ma vie qui se nourrit d’elle-même et je cherche le pardon.
Mon désespoir chaque jour et chaque nuit. L’humanité n’a que faire d’une personne quand la vie est un voyage effroyable, perpétuel. Que devient alors le temps, le fait que rien ne dure.
Je peux rester devant tout danger, sentir le sentiment que la mort fait nous rappeler ce qu’elle veut nous faire oublier !

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